TableTalks : voici les 9 questions posées à Thomas de Groote, fondateur de River Cleanup

8 octobre 2020

Chaque semaine, nous avalons l’équivalent d’une carte de crédit de plastique.

Thomas de Groote est l’initiateur de River Cleanup, une organisation qui s’engage à nettoyer les fleuves, les rivières et leurs rives pollués de plastique. Cette organisation peut dans ce cadre compter sur l’aide de bénévoles et sur l’utilisation de technologies intelligentes. Elle espère ainsi sensibiliser les gens et initier un changement de comportement chez les décideurs politiques, les entreprises et les citoyens.

River Cleanup compte trois collaborateurs fixes et quelque 100 000 bénévoles. Ils sont en outre soutenus par un conseil consultatif qui les aide à déterminer la mission et la stratégie. Ce conseil de sages se compose de huit professionnels expérimentés (et bénévoles) qui partagent leurs connaissances et qui sont actifs dans différents secteurs tels que l’industrie, les banques, l’énergie, l’entreprise durable, le marketing, et cetera. Riches d'une vaste expérience, ils aident à relever le niveau de l’organisation et à créer un impact encore plus important.

Aucun doute, la durabilité est profondément ancrée dans l’ADN de River Cleanup. Nous avons posé 9 questions à Thomas concernant sa vision de la durabilité.

Pourquoi la durabilité est-elle importante à vos yeux ?

Le plastique qui afflue vers nos mers et océans se désagrège en microplastiques pour atterrir au final dans nos assiettes. Chaque semaine, nous avalons l’équivalent d’une carte de crédit de plastique. Nous ingurgitons ce plastique par le biais de l’eau, du sel, de la bière ou encore des crustacés que nous consommons.

Nous sommes la première génération à avoir du plastique dans l’organisme et souvent, nous l’ignorons. Nous sommes également la première génération qui ressent les conséquences de la pollution et du changement climatique. En même temps, nous sommes la dernière génération qui peut remédier à ce problème.

La durabilité n’est donc pas un choix. Nous devons agir. Nous n’avons qu'une planète, qui ne nous appartient aucunement. Nous l’avons empruntée à nos enfants et nous devons la leur rendre par la suite.

Je ne suis pas un prophète de l’apocalypse, mais il est vraiment temps de réagir. Heureusement, certains commencent à s’en rendre compte. Je constate en effet un glissement dans le marché financier, qui accorde de plus en plus d'importance à la durabilité, qui devient également un critère important pour un nombre croissant de consommateurs.

Quel est donc le principal défi sur la voie de la durabilité ?

Bon nombre de personnes ne ressentent ni ne voient la problématique. L’Afrique est la décharge du monde ; la plupart du CO2 est émis en Chine ; les fleuves les plus pollués se situent en Asie... En bref : ce problème est à cent lieues de leur vie quotidienne.

Mais à ce jour, pas moins de 8 millions de tonnes de plastique affluent chaque année vers nos océans. Ceci correspond à 1 kilo par personne ou à un conteneur grand comme une personne, rempli de plastique. Et ce, chaque année.

Pourtant, bon nombre de personnes ne ressentent aucune responsabilité à cet égard. Elles ont par ailleurs un planning trop chargé pour s’occuper de ce type de problèmes. Il est difficile de les motiver à passer à l’action, car la différence ne se voit pas à court terme. C’est la génération suivante qui en verra le résultat.

Pour relever ce défi, River Cleanup mise sur deux volets : implication des personnes en les sensibilisant à la problématique et utilisation de la technologie.

Nous collaborons ainsi fréquemment avec les organisations locales et nous sommes parvenus à impliquer 100 000 bénévoles répartis dans 45 pays au cours de ces trois dernières années. Nous rendons aussi régulièrement visite aux écoles. D'abord, nous racontons aux enfants les effets du plastique sur la nature, sans dramatiser. Ensuite, nous allons tous ramasser les déchets autour de l’école. Les enfants ont toujours des réactions formidables.

Nous collaborons aussi avec de nombreux chercheurs et entreprises pour découvrir de nouvelles manières d’utiliser la technologie pour remédier à ce problème, car il est tout bonnement impossible de nettoyer manuellement 8 milliards de tonnes de déchets plastiques.

Cette combinaison de sensibilisation, de prévention des déchets et de leur ramassage efficace grâce à la technologie, est une excellente manière d’apporter une solution durable à ce défi.

Qu’est-ce qui a poussé River Cleanup à investir dans la durabilité ?

Tout comme bon nombre de personnes, j’étais beaucoup trop occupé pour me préoccuper de l’environnement. J’avais un travail accaparent, des enfants, une vie sociale bien remplie. Mais en 2017, l'on m’a lancé un défi tout simple, mais en dehors de ma zone de confort : je devais ramasser des déchets sauvages pendant 10 minutes et poster une publication à ce sujet sur Facebook.

Ce simple geste m’a ouvert les yeux. J’ai commencé à voir comment nous traitons notre planète et à aborder autrement les déchets. Mon comportement a changé progressivement. J’ai commencé à acheter, à compenser, à m’informer, à réduire mes déchets de manière plus consciente. Et je voulais m’attaquer au problème à plus grande échelle, ce qui a certainement un lien avec mon expérience dans le lean management et l’amélioration continue.

C’est alors que j’ai commencé à organiser des actions de nettoyage le long des rivières et des fleuves. Ces premières actions ont connu un succès très variable. Parfois, elles réunissaient dix personnes et parfois 100. J’ai compris qu’il m’était impossible de faire la différence ainsi, c’est pourquoi j’ai créé River Cleanup.

Quel entrepreneur vous inspire ?

Chaque entrepreneur qui agit de manière déterminée et parfois à contre-courant, m’inspire. Un entrepreneur qui ose déjà opérer certains choix durables et qui se demande s’il n’est pas possible de s’y prendre autrement.

En fait, nous devrions tous nous poser cette question. Chaque jour. Demandez-vous par exemple comment vous pouvez prévenir les déchets. C’est souvent possible en n’initiant que de petits changements dans votre vie quotidienne.

Quelles sont les prestations durables qui vous rendent le plus fier ?

Le premier cleanup de 10 minutes que j’ai fait en août 2017 avec mes enfants. Ma fille cherchait les déchets sauvages dans la rue, et nous, nous jouions aux super-héros qui venaient les ramasser. C’était non seulement chouette mais nous avions aussi vraiment le sentiment de sauver le monde.

L’homme qui m’a défié, l’entrepreneur flamand Jean-Paul Meus, ramasse des déchets pendant 10 minutes depuis déjà 1 578 jours. Il le dit magnifiquement bien : « If it ain’t fun, it ain’t sustainable. »

Le premier pas est le plus dur. Après, tout devient naturel. Ramasser des déchets dans la rue pendant 10 minutes avec trois enfants. Rien de plus simple, n’est-ce pas ?

Trois ans plus tard et quelque 100 000 river warriors de plus, je suis désormais surtout fier de notre premier système de déchets flottants que nous avons installé sur le Citarum en Indonésie, l’un des fleuves les plus pollués au monde. Il s’agit d'une barrière flottante que nous installons dans un affluent. Ce système retient tous les déchets plastiques flottants, après quoi un bénévole les collecte. D’autres systèmes ont entre-temps été installés mais le premier reste spécial.

Quels sont d’après vous, les avantages de l’entreprise durable ?

Aujourd’hui, il s’agit d'un avantage compétitif ; demain, il s’agira d’un must. Il vaut donc mieux choisir d’entreprendre durablement de manière à être fin prêt. Plus tôt vous vous lancez, plus vous en tirerez des avantages.

L’esprit du temps est en train de changer. Les consommateurs optent de plus en plus souvent pour des produits durables. Il sera donc bientôt économiquement irresponsable de ne pas entreprendre durablement.

Outre les motifs économiques, il y a également l’incroyable satisfaction personnelle que vous ressentez lorsque vous revoyez votre journée de travail en tant qu’entrepreneur. Une sensation ressentie lorsque vous couchez les enfants, lorsque vous vous regardez dans le miroir ... Ce sentiment est tout bonnement inestimable.

Il faut en réalité retourner la question : pourquoi une entreprise n’investirait-elle pas dans la durabilité ?

Quelle est selon vous l’importance de la collaboration avec des partenaires, fournisseurs, investisseurs et clients dans le cadre de la durabilité ?

Il est primordial de collaborer. C’est la seule façon de changer les choses.

Chez River Cleanup, nous collaborons avec chaque personne souhaitant faire un pas dans la bonne direction, peu importe qu’il soit petit ou grand, ou qu’il s’agisse d’une organisation locale ou d'une grande multinationale. Ce n’est qu’en nous développant en tant qu’organisation qu’il nous sera possible d’augmenter notre impact. Nous recherchons toujours plus de bénévoles, de partenaires et de fonds.

Quel conseil donneriez-vous à des entreprises/entrepreneurs qui souhaitent emprunter la voie de la durabilité ?

Commencez par de petits gestes, dès aujourd'hui. Et demandez-vous si l’emballage/le produit/le service est réellement nécessaire, avant de le rendre plus durable. Osez adopter une approche critique.

Impliquez vos collaborateurs (fournisseurs et clients) dans le processus et identifiez ensemble les actions que vous souhaitez entreprendre à court comme à long terme. Les SDG’s (Sustainable Development Goals - ODD : Objectifs de développement durable) des NU constituent une bonne base dans ce cadre.

Quel livre conseilleriez-vous aux personnes qui souhaitent en savoir plus sur la durabilité/l’entreprise durable ?

Je préférerais les mettre au défi de passer à l’action. Participez au « 10 minutes challenge » et ramassez des déchets sauvages pendant 10 minutes. Ressentez la puissance de ce simple geste. Ou participez au River Cleanup en septembre lors de la Journée mondiale du nettoyage !

 

Article par ABN Amro Table Talks: https://today.abnamro.be/artikels/tabletalks-9-vragen-aan-thomas-de-gro…

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